Réponses à vos questions

Publié le par Xavier Fontanet

Que pensez-vous de l’idée de taxe mondiale sur le chiffre d’affaires ? Robert S

 

Je suis très soucieux pour les grandes entreprises, surtout après la déclaration sur la taxe à 75%.

 

Ma première réaction a été de repenser aux trois tiers, l’idée qu’a eu le président de légiférer sur la distribution des bénéfices (un tiers du résultat doit être affecté à l’entreprise, un tiers aux employés un tiers aux actionnaires). J’ai développé dans mon livre (vous pouvez vous reporter au chapitre sur l’actionnariat salarié) les raisons pour lesquelles cette idée ne tient pas la route économiquement. C’est méconnaître le rythme de vie des entreprises et l’extrême variété de leurs situations (différence de positions dans le cycle de vie et différence d’intensité capitalistique).

 

J’en viens à la taxe mondiale. Là, je parle en tant que citoyen et à titre personnel. Il faut d’abord être clair sur le fait que l’impôt sur les bénéfices n’est qu’une partie de l’impôt total payé par les entreprises en France. Mettez-vous une seconde à la place du PDG d’une entreprise très mondialisée dont le siège est en France et dont le chiffre d’affaire en France représente moins de 10% de son activité mondiale (une entreprise qui a bien réussi est dans ce cas et il y en a plus qu’on ne le croit). L’entreprise va payer une taxe sur le chiffre d’affaires mondial en plus des impôts qu’elle paye en France ; la  «moyennite » fait que les meilleures sont celles qui seront les plus pénalisées alors que ce sont elles qui mènent les batailles les plus dures sur les marchés mondiaux.

L'origine de cette idée est venue de l’observation que les grandes entreprises multinationales payent moins d’impôts que les PME qui ne sont que sur le sol français. Ceci reflète d’abord le fait que les taux d’impôts sont plus élevés en France (parce que la sphère publique y est très développée) qu’à l’étranger et en particulier dans les pays en développement. Ne pas reconnaitre cela est proprement effarant et donne à nos concitoyens l’idée (fausse) que les grandes entreprises sont des chasseuses de primes.

 

Ensuite les entreprises appliquent les traités fiscaux que les pays ont établis entre eux de leur propre chef. En fait, chaque multinationale paye ses impôts dans les pays où elle fait des bénéfices et le calcul d’impôt est régi par des conventions fiscales (faisant partie de traités internationaux) qui règlent les calculs des prix de transfert et des royalties (allez sur le blog Fm qui l’explique très bien). Je ne comprends pas que les gens qui ont soufflé cette idée au président ne lui aient pas expliqué le sujet. Il peut y avoir des cas de gens qui trichent évidemment mais il s'agit d’une petite minorité. Dès lors, jeter le discrédit sur toute la population des grandes entreprises mondiales pour quelques cas particuliers n’est tout simplement pas correct.

 

Les grandes entreprises sont clairement dans le collimateur, pour devenir des boucs émissaires : « ces gens trichent… sont de mauvais citoyens… ». Designer des boucs émissaires est non seulement répréhensible sur un plan moral, c’est en plus stupide car cela empêche de regarder les problèmes en face.

 

Ceci m’a rendu furieux parce que, toute ma vie, je n’ai eu de cesse, en tant que responsable de sociétés multinationales, d’être un bon citoyen respectueux des lois de chacun des pays où l’entreprise travaillait. Je sais que c’est le cas de l’immense majorité des entreprises et notamment celles du CAC 40. Le concept du juste impôt par pays se pose partout dans le monde et ce sont les conventions fiscales entre Etats qui règlent ces sujets. A force de parler tout le temps du « législateur qui remet de l’ordre » et laisser entendre que les entreprises sont en quelque sorte des délinquantes, les gens entreprenants, consciencieux et honnêtes vont se sentir insécurisés en France. Je ne suis pas convaincu que cela soit bon pour la croissance et l’emploi ! Le monde entier hors de France reconnait que les grandes entreprises françaises se défendent remarquablement bien dans la concurrence mondiale (regardez le dernier classement chinois) : c’est un espoir pour le pays.

Par ailleurs, je vois que, de son côté, François Hollande  renchérit sur la taxe. Aucun des deux candidats n’a anticipé que s’ils vont trop fort sur ce genre de surtaxes, cela va réduire la capitalisation des groupes ; il sera alors facile de lancer des  OPA pour les forcer à  changer  de pays et récupérer à peu de frais vingt fois les sur-impôts. Tout cela est désolant et montre à quel point la sphère politique n’a rien compris à la mondialisation. J’ose espérer que cela n’est qu’un effet de manche électoral, mais je n’en suis pas sûr.

 

Venons-en aux fameux 75% !

Posons-nous d’abord la question : « qu’est-ce que la richesse ? ».  Est-il judicieux d’utiliser le même mot pour désigner un actif placé en or, en papiers garantis ou en œuvres d’art et un actif placé dans une entreprise, avec un savoir faire humain qui se développe, dans des machines, en pleine concurrence mondiale. Le premier actif est complètement liquide (on peut vendre instantanément) et ne prend que très peu de risques. L’autre porte tout le risque (on ne gagne jamais à tous les coups) et donne directement du travail à ses compatriotes. D’où ma question : l’entrepreneur qui risque tout son argent est-il « riche » ? Je distingue, quant à moi, le riche de l’entrepreneur, je pense que la question clé est : « que  fait-on de sa richesse ? »

La proposition des 75% est clairement et volontairement confiscatoire, le taux est quasiment 100% (75+12=87%). C’est une spoliation en bonne et due forme. Le général de Gaulle, qui avait une certaine distance par rapport aux entreprises, disait : « Toute taxation allant au-delà de 50%, quel que soit le revenu, est une spoliation ».

 

Les pays intelligents tiennent compte de l’utilisation et taxent le train de vie et non le revenu. Ils considèrent en effet que l’argent qui n’est pas mis dans le train de vie (et qui est donc réinvesti) est un service rendu aux compatriotes et à la société. Il n’est donc pas taxé ou beaucoup moins. Ce qui compte pour eux, ce n’est pas l’argent que l’on gagne, c’est ce que l’on en fait ! Taxez, soit, mais pas sur ce qui est réinvesti à risque dans l’entreprise ! A mes yeux, on ne réglera pas le problème de la pauvreté en ruinant les entrepreneurs qui réinvestissent leur revenu et en les spoliant du fruit de leur prise de risques.

 

Là où les choses sont très graves, c’est que nos hommes politiques ont détruit les mots et parlent désormais de « justice » fiscale. J’ai évoqué le détournement des mots dans mon livre au chapitre « le capitalisme est-il moral ? ». Ceux que le sujet intéresse peuvent s’y référer. Le mot justice a vu son sens passer de l’idée d’appliquer la loi (notamment défendre la propriété), à l’idée d’assurer une égalité entre les gens. Le législateur devient un justicier, même quand il spolie. L’utilisation inexacte du mot justice habille la spoliation. Nous avons besoin d'équité plutôt que d'égalitarisme.

 

Dans cette affaire (forcément délicate puisque l’on parle de rémunération, sujet hypersensible en période de crise et en France), on monte les gens contre les entreprises. Ce qu’on ne voit pas dans cette affaire, c’est que l’on donne au monde l’idée d’une France anti-entreprises où il sera dangereux d’investir. Ces déclarations sont clairement anti-emplois. (Lisez le récent éditorial de The Economist dont  je donne le lien sur le blog).

 

Les grandes entreprises françaises se sont mondialisées avec succès. Le CAC 40 et le SBF 120 ont crée prés de 1 500 milliards d’euros de valeur sur 30 ans, les Français devraient en être fiers. J’ai pour ma part du mal à supporter ces piques portées quotidiennement aux grandes entreprises et en définitive, aux Français ….Surtout quand elles viennent d’un monde politique qui a endetté le pays de la même somme par des dépenses inconsidérées, par sa méconnaissance du monde concurrentiel et par son refus de construire une sphère publique compétitive sur une base mondiale.

 

Je pense enfin et surtout que ce n’est pas bien de monter les Français les uns contre les autres. On ne réglera pas le problème des gens nécessiteux en faisant la chasse aux entrepreneurs, on ne créera pas la fraternité en encourageant une pseudo lutte des classes et en multipliant les anathèmes.

 

Que pensez-vous des comparaisons avec l’Allemagne et des gens qui disent que les entreprises françaises devraient faire comme les entreprises allemandes ? Ségolène A

 

Il est vrai que les entreprises allemandes de taille moyenne vont remarquablement bien actuellement. Faut-il pour autant les copier ? Je pense en fait que les talents français et allemands sont très différents. Nous ne sommes pas forts dans les mêmes métiers pour des raisons culturelles: les Allemands sont très forts dans les métiers qui demandent de la discipline et de la précision, les Français sont différents ils sont créatifs et ont un sens de l’abstraction. Les Allemands excellent dans la mécanique, l’automobile la machine outil ; les Français sont meilleurs dans l’assurance, la banque, les travaux publics, l’eau, le pétrole, les cosmétiques, l’alimentaire et le luxe.

 

Je ne suis pas sûr qu’il faille faire comme les Allemands.

La preuve de notre complémentarité, on la trouve quand on s’allie et on arrive à travailler ensemble, on fait alors des merveilles. Regardez Airbus où la force des Français en design et en conception s’allie au sens des produits bien faits des Allemands.

La comparaison avec les Allemands peut se faire aussi sur les dépenses publiques…. Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour voir au premier coup d’œil que la sphère publique allemande, qui donne les mêmes services que la nôtre coûte beaucoup moins cher (environ 10% du PIB soit 200 milliards d’euros). Si notre sphère publique était aussi efficace que la sphère allemande, nous serions en excédent budgétaire et notre dette serait beaucoup plus basse. C’est ce surcoût énorme de la sphère publique française qui, à mon avis, fragilise les sociétés moyennes qui n’ont que la France comme terrain de travail …sans compter  toutes celles qui ont été vendues par leurs propriétaires qui ont ensuite quitté la France à cause des impôts. Rappelons que les grandes sociétés vivent bien grâce aux positions qu’elles ont conquises seules, en pleine concurrence mondiale à … l’international.

 

Le problème de nos entreprises, c’est l’excédent de poids de l’Etat. Les entreprises sont comme des graines et les pays comme des sols. Comment expliquer que les entreprises françaises sont si performantes à l’international et souffrent en France ? C’est très simple: le sol français n’est plus fertile depuis une trentaine d’années, avec les cailloux que sont les impôts de toutes sortes et les broussailles que sont les réglementations. La sphère publique a explosé depuis trente ans, elle n’est plus compétitive. Un grand quotidien asiatique représentait la France comme un bateau qui avait quatre rameurs et six barreurs alors que la moyenne de l’OCDE a six barreurs et quatre rameurs. Le journal faisait allusion à la sphère publique française  qui est la plus chère du monde avec 56% du PIB (contre 40% en moyenne ailleurs).

 

Que nos politiques travaillent un peu plus sur le sol dont ils sont après tout responsables, en baissant le coût de la sphère publique et en supprimant la bureaucratie inutile ! Les petites graines feront alors des merveilles.

 

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